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Northwestern Buffett Institute for Global Affairs

Frontispiece to Hobbe's Leviathan
Image credit: Frontispiece of Leviathan by Abraham Bosse. Distributed under Public Domain.

I Would Prefer Not To

By María Bacilio

María Bacilio est née à Mexico. Actuellement elle vit et étudie à Paris où elle est en première année de thèse en philosophie à l’École Normale Supérieure. Elle a fait son master en philosophie contemporaine à l’ENS et sa licence en philosophie à l’Universidad Nacional Autónoma de México.

Copyright © 2020 María Bacilio. Published under a Creative Commons (CC BY NC ND 4.0) license.

Je suis née au Mexique au sein d’une famille où la médecine était omniprésente. Mon père qui est médecin gynécologue m’a sorti du corps de ma mère, elle aussi gynécologue, et m’a mis au monde dans un hôpital que j’allais appeler maison pendant vingt ans. Car mes parents ont l’étrange particularité d’avoir construit leur maison dans l’hôpital qu’ils dirigent. Ainsi, l’accouchement de ma mère pouvait presque être considéré comme un accouchement à domicile. J’ai donc grandi entourée par l’équipe soignante et par un groupe de personnes que j’allais finir par connaître assez intimement, car ils faisaient partie de la vie quotidienne de l’hôpital. Comme la soupe aux légumes et le riz blanc, à la fois le régime des convalescents et le mien. Comme les infirmiers, médecins, chimistes ou cuisiniers que je voyais défiler en face de ma chambre. D’ailleurs pendant longtemps je n’ai pas eu de notion d’intimité, c’était quelque chose qui m’était tellement étranger que la première chose que j’ai cherché quand je suis partie de chez mes parents fut un espace habité uniquement par moi, à l’abri du regard des curieux. Peut-être la seule fois où j’ai apprécié d’avoir un hôpital comme maison, fut le jour où je dus me faire opérer de la vésicule et où, pour entrer et sortir de la salle d’opération, je n’ai eu qu’à emprunter les escaliers de la maison. Quand j’avais mal, l’infirmière ou le médecin n’étaient qu’à un étage de distance. La médecine a donc imprégné chaque partie de mon être et celle de mes frères et sœurs à tel point que des six enfants que nous sommes, je suis la seule à étudier autre chose que la médecine. C’est ainsi que je me suis retrouvée à partir de la maison de mes parents pour étudier la philosophie à Mexico et, plus tard, à Paris.

Partir à Paris n’a pas été une décision où seul mon désir de poursuivre mes études était en jeu, il s’agissait aussi de laisser derrière moi ce monde aseptisé qui guettait chaque partie de ma vie. Qui aurait pu penser qu’un an et demi après j’allais me retrouver à la case départ, à cause d’une pandémie ? Cette fois-ci, en revanche, je n’étais plus uniquement spectatrice de cette mise en scène biopolitique, j’en étais aussi l’actrice. Masque obligatoire, utilisation de gants, un mètre de distance entre chaque personne, attestation à chaque sortie et amendes en cas de contrôle, lavage de mains permanent et respect des gestes barrière. Chez moi à nouveau la médecine devenait omniprésente. La question qui s’est mise à me hanter fut celle de savoir comment y échapper ? Je voulais y échapper, non pas au sens d’une fuite, comme ce fut le cas de mon départ de l’hôpital familial, mais dans le sens d’une prise de position face à un dispositif sécuritaire qui avait réussi à se mettre en place dans la vie de chaque habitant, sans résistance. Impossible, donc, de ne pas se poser la question à partir de la biopolitique, surtout en tant qu’étudiante en philosophie. Car parmi les vertus que nous développons quand nous dédions notre vie à la pensée, se trouve celle d’être maintenus en état d’alerte permanent face aux signes de notre monde qui se manifestent comme des échos du passé. Échos qui, loin d’être remplis de la bonté des actes humains, sont en réalité surtout pollués par une histoire fondée à partir du redressement et de la mise à mort d’êtres humains. Ce que Thomas Hobbes imaginait comme la souveraineté parfaite et qu’il fit magistralement illustrer dans le frontispice du Léviathan s’est finalement réalisé à Paris pendant le confinement. Rappelons-nous seulement comment, dans ce frontispice la ville est vide, hormis la présence des médecins de la peste et de l’armée. C’est exactement ainsi que s’est retrouvée la ville lumière quatre siècles après la publication de ce livre emblématique de la théorie politique. Cela signifiait-il pour autant que tout le Peuple était en train de donner sa volonté au souverain ? Que tous les corps formaient celui du monstre marin ?

Il me semble qu’une bonne partie de l’agir politique et éthique en temps de confinement, et celui qui vint après, s’est mis en place à partir du désir de solidarité que quelques-uns d’entre nous avons trouvé urgent. Un sentiment qui cherchait à se débarrasser de tout commandement étatique car. Ne perdons pas de vue, en effet, que si l’État ne veut pas d’une population malade ce n’est pas par parce que leurs vies comptent, mais parce que seuls des corps sains, jeunes et dociles peuvent maintenir l’économie capitaliste mondialisée vivante. Pensons notamment aux décisions auxquelles les médecins en réanimation ont dû faire face à cause du manque du matériel médical : choisir qui sauver et qui laisser mourir. La vie comme dilemme continue donc d’être au centre de la scène politique. Mais comment, donc, trouver le juste milieu ? Comment agir de telle sorte que ce qui nous guide soit plus notre pensée pour ceux qui n’ont pas de foyer digne et exempt de violence pour se confiner, pour nos anciens, pour les travailleurs précaires, pour ces pays comme le Mexique où une épidémie est plus létale pour la population qu’en Europe ?

C’est Bartleby l’écrivain qui nous donne la réponse. Son iconique « I would prefer not to » résume parfaitement comment seule notre résistance à accepter toutes les injonctions gouvernementales peut nous permettre de faire face à une biopolitique qui, au fil des siècles, a trouvé une manière de se mettre en place. Cela ne veut pas dire non plus qu’aucun agir pendant notre cohabitation avec le virus (et ceux à venir) doit avoir lieu. Cela signifie que, comme Bartleby nous l’apprend, notre puissance d’être ou de faire quelque chose qui est aussi puissance de ne pas être ou de ne pas faire, doit rester centrale dans notre analyse de toute scène politique. Ainsi, face à l’application « StopCovid » qui sera après la pandémie un élément clé d’interruption de la pensée et de toute activité insurrectionnelle, il vaut mieux répondre I would prefer not to. De même, face à l’annulation programmée des cours « en présentiel » dans les universités et les écoles, espaces qui, même si critiquables, restent des lieux centraux pour les élèves qui y façonnent leurs premières expériences du politique, de l’amour et de l’amitié, il faut répondre I would prefer not to. Et face à l’interdiction des réunions ou des manifestations dans la rue il faut répondre I would prefer not to. C’est justement cette phrase qui a permis que l’assassinat de George Floyd ne soit pas passé sous silence, alors même que l’Amérique est le pays le plus touché par le virus. C’est cet enseignement de Bartleby qui a fait du I can’t breathe, un souffle de vie.

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