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Northwestern Buffett Institute for Global Affairs

satelite photo of Omatako Mountains Namibia
Image credit: Omatako Mountains, Namibia by Axelspace Corp. Distributed under CC BY-SA 4.0.

Frontières, Race, Virus et Radiations

By Eddine Bouyahi

Eddine Bouyahi is a PhD candidate in Political Science at Northwestern University and Sciences Po. After completing his Masters at Sciences Po on the politics of land redistribution in Zimbabwe, his current dissertation project focuses on the links between labor, nationalist politics, and populism in Southern Africa.

Copyright © 2020 Eddine Bouyahi. Published under a Creative Commons (CC BY NC ND 4.0) license.

C’est en Janvier 2020, lors de mon séjour de recherche à Pretoria, pour mon doctorat, que le virus du Covid qui sévissait alors dans la ville de Wuhan me vint pour la première fois aux oreilles. Je n’avais jamais entendu le nom de cette mégapole chinoise et ne prêtait pas attention à ces événements lointains. Personne ne parlait de cela dans l’auberge de jeunesse où j’avais posé mes valises le temps de conduire mes entretiens. L’été de l’hémisphère sud ne laissait que peu de place aux réflexions sur un virus mortel venu d’Asie. Comme partout sur la planète nous n’avions pas compris que désormais le local passait les frontières.

L’Afrique du Sud se préoccupe à ce moment-là de questions bien plus concrètes. La population déplore les coupures d’électricité quotidiennes et l’état calamiteux de la compagnie nationale d’électricité. Elle suit les déboires judiciaires de l’ancien président Jacob Zuma. Elle observe aussi avec attention les projets gouvernementaux d’expropriation sans compensation des fermiers blancs, cette petite minorité de sud-africains qui possèdent toujours la majeure partie des terres arables du pays. Le racisme et le colonialisme ne sont jamais très loin dans les anciennes colonies de peuplement de la pointe sud du continent. Je discute avec le propriétaire Afrikaner de l’auberge à proximité d’un parc et il me dit « Regarde, tout est en dessous des standards, l’entretien est mauvais, ils ne coupent même pas l’herbe comme il faut. »

J’arrive quelque temps plus tard en Namibie, toujours pour conduire mon travail de recherche. Je trouve une chambre par le contact d’un ami et me voilà dans le quartier le plus riche de Windhoek, la capitale. L’ensemble des habitants y est blanc et les propriétaires de la maison où je réside également. Ce sont des anciens Rhodésiens qui avaient quitté le Zimbabwe peu de temps après l’indépendance. Ils avaient alors rejoint la Namibie, où le régime d’Apartheid était encore présent. 

C’est là, au tout début du mois de mars que la pandémie me rattrape. Les frontières se ferment les unes après les autres et l’Europe devient l’épicentre mondial de la maladie. À Windhoek, les gens s’inquiètent un peu mais demeurent incertains. Des masques apparaissent sur les visages des chauffeurs de taxis et mes entretiens s’annulent. Pour ceux qui restent, quand je m’y rends, on me salut à distance car le virus vient de l’extérieur et que j’en viens aussi. Deux cas positifs de touristes sont détectés et le gouvernement Namibien annonce très rapidement la fermeture des connexions aériennes avec l’extérieur du continent. Les autorités prennent des mesures drastiques en annulant la fête nationale et les célébrations de l’indépendance. Au même moment, mon université Américaine demande à l’ensemble de ses étudiants à l’étranger de rentrer ou bien de signer une décharge. Je me dis alors que les risques de procès participent parfois du souci des autres. 

La crainte principale de nombreuses personnes à ce moment-là est que l’épidémie touche le continent Africain et les pays en développement. Que les victimes y soient très nombreuses. Les occidentaux sur place, dont je suis, craignent de vivre l’épidémie dans des pays aux systèmes de santé fragiles. Des discussions avec ma famille et mes directeurs de thèse me persuadent finalement de prendre un billet de retour. Une escale en Angola avant le vol vers Paris. J’ai l’impression de quitter un navire auquel on promet le naufrage. J’arrive en France. Beaucoup de monde dans l’Aéroport et pas de contrôles sanitaires comme à Windhoek et Luanda. Pas de gel hydroalcoolique, pas de tests de températures et un gouvernement qui nie l’intérêt du masque.

Le nom du général de Gaulle, sauveur de la nation et héros de la résistance est écrit en gros. Le Président Macron vient de nous annoncer une guerre et l’ironie de la situation me traverse l’esprit. Je crois qu’on va bien avoir besoin d’un héros cette fois aussi sans vraiment savoir qui cela pourrait être. Très rapidement je me rends compte que les héros sont anonymes, ordinaires et souvent précaires. Les « travailleurs essentiels » qu’on les appelle dans cette France confinée. On en trouve dans tous les coins du pays. Pas de startuppers ni de milliardaires parmi eux. Je quitte l’aéroport et me retrouve sur mon lieu de confinement, seul chez moi dans ma ville de Seine-Saint Denis. Les « travailleurs essentiels » y sont légions et leurs couleurs de peau témoignent de taux de mélanine plus élevés que la moyenne nationale. Pourquoi sont-ils tous concentrés au même endroit ? Bonne question… 

À la télé, on entend Éric Zemmour et ses comparses s’agiter une fois de plus contre les banlieusards, les musulmans, les noirs et les arabes. Mauvais citoyens d’après eux, ceux-ci ne respecteraient pas les règlent du confinement. À y regarder de plus près, les bourgeois parisiens au teint clair ne les respectent pas mieux malgré leurs salaires plus élevés et leurs appartements plus spacieux. Rien de bien nouveau sous le soleil, les racistes aiment à inventer l’objet de leur haine. 

Les chiffres sortent. La Seine Saint Denis connaît une mortalité sans commune mesure avec le reste du pays. Le département est sous-doté en services hospitaliers et ses « travailleurs essentiels », extrêmement nombreux, sont logiquement les plus exposés. Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, on voit un jeune banlieusard perdre sa jambe suite à une altercation avec la police. Des vidéos de propos racistes et d’interpellations violentes par des policiers circulent. Aux Etats-Unis, George Floyd décède sous le genou d’un policier et le pays s’embrase. En France, les journalistes de la chaîne de télé de Zemmour déplorent le racisme de la police et de la société américaine.

 Pendant le confinement, des articles de presse pullulaient sur la responsabilité de la Chine dans sa gestion de l’épidémie. Certains faisaient le parallèle avec la catastrophe de Tchernobyl et les tentatives tragiques de la dictature soviétique de masquer l’affaire. La comparaison est pertinente à bien plus d’égards que beaucoup ne pensent. En France, à l’époque, l’Etat disait aux français que les frontières nationales avaient la capacité incroyable d’arrêter les nuages radioactifs. D’après les autorités, les gaulois n’arrêtaient plus seulement les romains mais aussi les radiations. Décidément, se disait-on, « impossible » n’est vraiment pas français. Aujourd’hui, l’Etat et une majorité de français disent que les frontières nationales arrêtent les catégorisations raciales. Qu’en France la race ça n’existe pas, fusse-t-elle sociale. Que la race c’est l’Amérique, c’est l’Afrique du Sud, c’est les autres… Force est de constater que les frontières n’arrêtent pas grand-chose. Ni les virus, ni les radiations, ni le poison de la race.

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